Comment peut-on réellement définir le digital ? Est-ce seulement un néologisme pour représenter des ordinateurs connectés et des logiciels ? Dans les entreprises ou collectivités, doit-on confier le digital - ou numérique - au service informatique ou au service marketing ? Ou doit-on plutôt miser sur une répartition organique des compétences ?
Si l’on en croit le Larousse, l’informatique est la « science du traitement automatique et rationnel de l'information considérée comme le support des connaissances et des communications »¹. Plus communément, l’informatique est l’application de cette science, mettant en œuvre du matériel (ordinateurs) et des logiciels.
Dans les technologies numériques - ou digitales - les informations (textes, images, sons…) sont représentées par des suites de nombres binaires. Ces variables discrètes² permettent de créer, stocker, traiter et diffuser toutes formes de données et connaissances. De prime abords, nous serions donc tentés d’assimiler l’informatique et le digital puisque le second utilise les ressources du premier. Mais au-delà de la définition académique et de l’immanquable débat sur les termes « numérique » et « digital », c’est l’approche, les usages et les conséquences organisationnelles qui diffèrent.
Par nature, l’informatique structure et centralise. C’est un constat, non une impertinence. L’architecture informatique, même si elle évolue depuis quelques années³, a besoin d’aborder le matériel et le logiciel avec des méthodes rationnelles et analytiques. La définition ci-dessus ne laisse d’ailleurs aucun doute à ce propos.
Le monde digital est né d’une complexification de l’informatique. Cette complexité est le fruit du nombre et de l’interconnexion. C’est ce qui a donné naissance à une nouvelle approche, le digital. Il répartit et décloisonne. Le monde digital permet une collaboration non centralisée. Il permet également de répartir les compétences, de les associer pour produire des actions et des contenus partagés et collectifs ou communautaires. Dans le monde digital, nous consultons et utilisons quotidiennement des données dont la localisation nous est inconnue. Est-ce bien important d’ailleurs de savoir où sont hébergées les informations que nous consommons ? Et cela d’autant plus que nos écrans ont tendance à nous servir des données agrégées, composites.
« Le digital est un usage, non une technologie. »
Le digital est un usage, non une technologie. Il utilise des moyens matériels et logiciels, mais c’est dans les applications que se trouve son intérêt, sa valeur ajoutée. Cette petite révolution a d’ailleurs des conséquences que nous n’imaginions pas il y a une vingtaine d’années. En informatisant les entreprises, les méthodes et données se sont trouvées formalisées, entrant dans des cases qui nous permettaient de nous rassurer. L’arrivée de l’information non structurée⁴ et des bases de données NoSQL⁵ a bouleversé le champ des possibles. L’information est sortie de son cocon rassurant de variables aux caractéristiques limitantes (champ texte, nombre…). Les données sont désormais abordées comme des objets mathématiques vivants, des vecteurs probabilistes. La dynamique des grands nombres a donné naissance à une autre forme d’apprentissage et de connaissance.
En informatique, les informations sont vraies ou fausses. Dans le digital, elles sont appréhendées de manière dynamique et statistique. Elles peuvent être vraies à « 96.3 % ». Ce changement de paradigme est le même que celui qui a permis le passage de la mécanique classique à la mécanique quantique. Il ne s’agit pas de remplacer la première par la deuxième, mais d’envisager d’autres formes cognitives que la rationalité analytique. La mécanique quantique ne remplace pas la mécanique classique, très utile pour notre quotidien. Elle la complète en apportant des nouvelles réponses là où la première manque d’efficacité. De la même manière, le digital s’appuie sur l’infrastructure informatique, mais apporte des nouveaux comportements, des nouvelles réponses, des nouvelles opportunités.
Ce changement d'approche bouleverse beaucoup de choses, de notre conception du monde aux organisations que nous pensions efficaces et durables. L’organisation pyramidale n’a pas disparu, mais elle se heurte aux structures transversales et organiques. Pour plus d’efficacité, l’entreprise décentralise et donne plus de rôles aux opérateurs sur le terrain. La digitalisation des organisations donne plus de responsabilités - et de pouvoir ? - aux personnes opérationnelles. Là où il fallait traverser des couches de management où la déperdition était un véritable fléau, les décisions peuvent être prises et appliquées de manière plus efficace et réactive. Les silos laissent la place aux cellules à géométrie variable.
« Le digital est à l'informatique ce que la mécanique quantique est à la mécanique newtonienne.
Nous sommes passés d'un modèle linéaire, simple et prévisible à la complexité et aux probabilités.
Les certitudes doivent être remplacées par des hypothèses impermanentes. »
L’informatique est nécessaire à la transformation digitale, mais il ne faut pas confondre les deux. Ce serait à peu près aussi idiot que de déléguer le pilotage d’une Formule 1 à l’équipe de mécaniciens. Ce n’est pas péjoratif. Il s’agit simplement de reconnaître le rôle de chacun. Le pilote n’aura rien à piloter si les ingénieurs, constructeurs et mécaniciens ne font pas leur travail. Mais sur circuit, son approche sera très différente. Il doit faire corps avec le véhicule et adapter son pilotage en fonction de l’environnement. Il n’aurait d’ailleurs pas le temps de demander une autorisation pour ajuster sa conduite.
Vous l’aurez compris, le digital n’est pas qu’une histoire d’informatique. Mais ce n’est pas non plus seulement une affaire de marketing. Le digital est partout. Il doit être appréhendé de manière holistique, non cloisonnées. Ce n’est pas non plus seulement une approche transversale. Le digital rend vivantes les données et les organisations. Il s’agit de passer de la structure solide à la phase liquide voire gazeuse. Car le fait d'établir des liens entre les informations et les multiplier par une collecte planétaire ne produit pas seulement une masse de données à traiter. Notre connaissance du monde en est considérablement modifiée.
« Le digital rend vivantes les données et les organisations.
Il s’agit de passer de la structure solide à la phase liquide voire gazeuse. »
Converser avec une personne située à l’autre bout de planète ne nous surprend plus. Voir une vidéo en temps réel ou différée sur des sujets abordés par des scientifiques du monde entier, suivre une conférence ou des cours de chinois en ligne ne nous surprend plus non plus. Et pourtant… cet accès quasiment illimité est très récent dans l’histoire de l’Humanité. D’autres conséquences sont encore en cours ou à venir. Quel rôle attend-on des états quand ils sont purement et simplement court-circuités dans un de leur rôle principal : la collecte, l’utilisation et la redistribution des ressources collectives⁶. C’est une question à part entière… qui n’est aujourd’hui malheureusement même imaginée par ceux qui s’en octroient la représentation. Le monde politique, majoritairement, résonne encore avec des neurones du Siècle des Lumières.
Bien entendu, tout n’est pas merveilleux dans le monde du digital, car il ouvre de nombreuses possibilités, y compris un côté sombre. Mais des opportunités extraordinaires se présentent également. Parmi celles-ci, se trouve l’apprentissage automatique, fruit de la collecte et du traitement de données en grand nombre, le big data. Il y a également notre capacité à créer et participer à des projets collectifs, de durée variable, en associant des compétences et des ressources hétérogènes et complémentaires.
« Le digital décloisonne et répartit. »
Le digital décloisonne et répartit. En connectant, il brise des frontières et en créé des nouvelles. Elles sont vivantes, souples et mobiles. Elles ne sont plus durables, mais elles restent valables tant qu’elles répondent à l’attente qui les a fait naître. En reliant, le digital répartit différemment les rôles. Le contrôle indispensable à l’organisation hiérarchique prend une autre forme dans une structure organique. En plaçant le digital au cœur des organisations, nous autorisons l’apprentissage et donc l’essai et l’ajustement. Ce ne sont plus les moyens qui sont imposés par l’organisation, mais les résultats qui deviennent l’indicateur de performance.
La transformation digitale n’est donc pas une affaire technologique mais essentiellement humaine, par nos organisations et nos méthodes. Elle vit, donc elle a besoin de souplesse et d’adaptation plutôt que de procédures sclérosantes.
² Une variable discrète a une valeur finie. Il est possible de les énumérer (1, 2, 3…).
⁴ Les données non structurées sont une désignation générique qui décrit toute donnée extérieure à un type de structure. Les données non structurées textuelles sont générées par les courriels, les présentations PowerPoint, les documents Word, ou encore les logiciels de collaboration ou de messagerie instantanée.
⁵ Le NoSQL (Not only SQL) désigne une catégorie de base de données apparue en 2009 qui se différencie du modèle relationnel que l'on trouve dans des bases de données connues comme MySQL ou PostgreSQL. Ceci permet d'offrir une alternative au langage SQL.